Jo Krasker - Biographie

Jo Krasker, vers 1931
Fils d’un voyageur de commerce et d’une mère au foyer, Georges KRASKER, dit "Jo", est né le 19 décembre 1926 à Montfavet, dans la proche banlieue d’Avignon (84). Il est le deuxième enfant d’une fratrie qui en comptera 10 en 1945. En 1934, à l’âge de 8 ans, alors qu’il réside au Pré-Saint-Gervais (93), il décide d’apprendre à jouer du violon. Son oncle Georges PIDANCIER lui offre l’instrument et sa grand-mère l'inscrit chez une enseignante de musique, où il étudie le solfège, l’harmonie et prend ses premières leçons de violon. C’est un élève prometteur et très appliqué. Mais au bout d’un an et demi, il doit abandonner les cours pour suivre ses parents en province. Son professeur, qui envisageait ultérieurement le présenter au conservatoire de Paris, en a pleuré. Pour ne rien arranger, son violon a été cassé à son retour par ses plus jeunes frères, à son plus grand regret.

    En 1941, la famille KRASKER s’installe en zone libre, où le père de Georges fait l’acquisition d’une propriété à Lévignac-de-Guyenne (47). Là, Georges fait la connaissance de Jean BENETRIX, qui deviendra l’un de ses plus fidèles amis. Un jour, les parents de Jean offrent à leur fils un accordéon à touches piano, et Georges éprouve rapidement une irrésistible fascination pour cet instrument joyeux et convivial. Et puis l’accordéon a l’avantage de se suffire à lui-même, c’est un orchestre à lui tout seul. Désormais, Georges veut lui aussi absolument posséder son "piano à bretelles". Le dimanche matin, l’oreille collée au poste de radio, Jean et Georges commencent tous deux à écouter religieusement les accordéonistes Jo PRIVAT et l’injustement oublié René SUDRE, qui sont LES références incontestées du musette de l’époque.

    En 1942, Georges est envoyé par son père à Paris pour régler une affaire le concernant, et il est hébergé chez sa grand-mère maternelle qui en profite pour lui offrir son premier accordéon chromatique à boutons, un instrument qui appartient à son grand-père, Justin PIDANCIER, mais que ce dernier n’a pas utilisé et qui est resté à l’état quasi-neuf dans sa boîte d’origine. Cependant, la joie de Georges est un peu ternie, car il rêvait d’avoir le même instrument que son ami Jean BENETRIX, avec les fameuses touches « piano ». Il comprendra cependant plus tard, sans aucun regret, que le vrai accordéon, celui des vedettes et des virtuoses, c’est bien l’accordéon à boutons, car il couvre une gamme nettement plus large que son concurrent. De retour à Lévignac, Jean et Georges passent la majeure partie de leur temps à apprendre à maîtriser leur instrument. Georges, par son talent et sa volonté, comble facilement son retard et atteint rapidement le niveau technique de son ami.

    En 1943, Jean, Georges et deux autres camarades partent quatre jours en voiture avec le curé de Lévignac — qui sera exécuté en 1944 sur sa bicyclette par la Résistance pour ses activités de "collaborateur" — afin d’assister à un pèlerinage de la J.O.C. (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) à la basilique de Lourdes (65). Mais, à peine arrivés les deux jeunes apprentis musiciens, qui ont la tête ailleurs, s’éclipsent rapidement du cortège pour aller écouter la prometteuse accordéoniste de 21 ans, Yvette HORNER, qui se produit au café La Terrasse, juste au-dessus du gave de Pau.

    En 1945, la famille KRASKER quitte Lévignac pour aller s’installer à Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées. À partir de ce moment-là, Georges, dont le niveau musical ne cesse de s’améliorer, commence à accompagner quelques chanteurs locaux. En 1946, il souhaite s’acheter un accordéon plus perfectionné, mais son père, qui ne croit guère aux carrières artistiques, refuse de lui offrir, et c’est sa tante Marguerite qui vient à son secours en lui procurant l’instrument, un accordéon Martin Cayla. Elle lui finance également des cours à Paris chez un professeur très réputé, Jacques MANDEL. Ce dernier prépare en effet les accordéonistes à la coupe mondiale d’accordéon. Il a, entre autres, formé Freddy BALTA (qui joue également aux grandes orgues de Notre-Dame de Paris), Louis CORCHIA (fils de Primo), Jo MOUTET, Marcel AZZOLA, etc.


    Les premiers contrats

    Georges KRASKER revient ensuite à Lourdes où il débute à la fin des années 40 sa carrière professionnelle, en accompagnant d’autres collègues musiciens du Sud-Ouest. En 1947-48, épaulé notamment par son ami guitariste et vibraphoniste Francis BLANCHARD, il commence par se produire dans des orchestres qui sillonnent les salles de bal de toute la région de la Bigorre (Tarbes, Lourdes où il anime notamment des matinées dansantes le dimanche dans le cabaret de Jean PRAT), et du Béarn (Pau, etc.).

    Puis, il est engagé pour la saison d’été complète (juillet-août 1949) au casino de Cauterets (65). L’orchestre symphonique local joue à l’heure de l’apéritif dans le kiosque à musique, tandis que l'orchestre de danse, au sein duquel il intervient, termine la soirée. Le chef de l’orchestre symphonique, Paul MINSART, a également pris soin de recruter une pianiste, professeur au conservatoire de Cherbourg (50), pour jouer alternativement dans les deux orchestres. À l’occasion d’une sortie, cette musicienne à l’oreille très professionnelle voit Georges jouer — seul — quelques morceaux avec un petit accordéon qui trônait sur la cheminée d’un café d’Argelès-Gazost (65). Impressionnée par sa dextérité, elle parvient à convaincre Paul MINSART (qui n’aime pourtant ni le jazz ni l’accordéon) de laisser le jeune musicien interpréter deux morceaux de son choix en attraction spéciale dans le kiosque du casino, entre les deux prestations de l’orchestre symphonique. Pour l’occasion, Georges choisit l’Ouverture de la cavalerie légère de Franz von Suppé, et un grand classique de virtuosité à l’accordéon, Perle de cristal de Georges Hamel.

    En octobre 1949, il décroche un contrat d’un mois dans un night-club d’Angoulême (16), puis il passe tout l’hiver 1949-50 au château de Delos à Riscle (32) dans la demeure de ses parents. Au début de la saison d’été 1950, il est d’abord engagé tout le mois de juin à la grande brasserie La Rotonde de Dijon (21), avant d’effectuer une deuxième saison complète d’été au casino de Cauterets (65) en juillet-août. Puis, de la fin de l’année 1950 au printemps 1952, il se produit essentiellement dans les salles de spectacle des Hautes-Pyrénées et du Gers, tout en continuant à résider au château de Delos.

Juin 1950, La Rotonde, Dijon. Jo Krasker à l’accordéon (photo de gauche) et à la contrebasse (photo de droite)
 
    La famille KRASKER quitte finalement Riscle pour aller s’installer à Tarbes, et le père de Georges fait comprendre à son fils qu’il est grand temps qu’il prenne sa vie en main et qu’il devienne indépendant. Heureusement, la chance lui sourit rapidement. Un imprésario de Tarbes avec lequel le jeune accordéoniste est en contact, lui permet de signer un nouveau contrat saisonnier, un mois dans une brasserie de Belfort (90), en mai 1952. Puis, en juin de la même année, Georges enchaîne à la taverne Schutzenberger, établissement emblématique de Schiltigheim, dans la banlieue de Strasbourg (67).

Jo Krasker (1951)
    À l’issue de ces contrats, fin juin 1952, il se retrouve sans travail et n’a cette fois plus d’autre solution que d’aller s’installer à Paris, LA capitale du piano à bretelles. Il débarque ainsi complètement par hasard dans le quartier de Strasbourg-Saint Denis, et loue une chambre à l’hôtel Ariane, rue René Boulanger. Il se rend ensuite à l’agence pour l’emploi où on lui signifie qu’on n’a aucun travail à lui proposer, "pas même une place de simple balayeur", lui rétorque-t-on. Sans se décourager, son bel accordéon sur l’épaule, Georges décide alors de faire le tour des restaurants et des cafés environnants de la porte Saint-Martin et de la porte Saint-Denis (Paris 10ème), dans l’espoir que les gérants l’autorisent à jouer quelques morceaux pour les clients de leur établissement. Et le succès est au rendez-vous. Le premier soir, en à peine deux heures, il gagne 4500 francs, une somme qui correspond normalement à la rémunération d’une matinée dansante complète. Grâce à cette manne, il peut financer pour quelques jours sa chambre d’hôtel qui lui coûte 500 francs par jour… Les soirs suivants, il fait résonner les airs de musette et de valses swing jusque dans les cafés de la rue Blondel, passage historique de la prostitution parisienne, et ce sont souvent les filles elles-mêmes, sébile en main, qui passent au bar pour inciter les clients, parfois un peu énergiquement, à être plus généreux avec le jeune musicien.


    Le tournant : Jésus la Caille

    Fermement convaincu qu’il peut maintenant tirer de substantiels revenus de sa passion pour la musique, Georges en profite pour s'inscrire à l'agence du spectacle (qui n’a légalement pas le droit de lui proposer un travail autre que dans le domaine artistique). On lui délivre une "carte verte" qui n’ouvre pas de droits à des indemnités (chômage "non secouru"), mais il doit régulièrement pointer pour conserver ses droits à la sécurité sociale. Il n’obtient pas de travail dans l’immédiat, mais dans les jours qui suivent, alors qu’il déambule sur le boulevard de Strasbourg, il s’arrête devant le théâtre Antoine, le regard attiré par un panneau d’affichage où figure, entre autres, la photo d’un accordéoniste en train jouer sur la scène du prestigieux établissement. La pièce présentée, Jésus la Caille, du poète et académicien Goncourt Francis CARCO, est une adaptation en 5 tableaux de son roman éponyme publié en 1914 (dialogues de Frédéric DARD, musique de Joseph KOSMA). Elle est interprétée, entre autres, par Dora DOLL, Michel FRANÇOIS, Lila KEDROVA, Daniel CAUCHY, Léon LARIVE et Charles MOULIN(1). Dans un soupir teinté d’un mélange d’admiration et de frustration, Georges pense alors tout bas, "Ah, ce n’est pas à moi que ce genre de chose arriverait…"

Affiche officielle de la pièce Jésus la Caille (automne 1952)
    Pourtant, même s’il ne le sait pas encore, le jeune musicien se trouve au bon endroit au bon moment, et la chance va être au rendez-vous. À peine quelques jours plus tard, il reçoit un coup de téléphone de l’agence du spectacle, qui lui demande s’il accepterait de devenir le nouvel accordéoniste attitré de la pièce Jésus la Caille, pour remplacer Raymond FOURNIER, qui a déclaré forfait pour la tournée d’été. Libre de tout engagement, il accepte sur le champ et l’agence le met en relation avec Pierre VALDE, le metteur en scène de la pièce. Après quelques répétitions dont une "générale", Georges, donnant entière satisfaction, obtient le rôle de "Loupé", le musicien bohème aux allures de gavroche qui apparaît juste après les trois coups, dès le lever de rideau. Accoudé contre l’un des becs de gaz d’une rue parisienne, il entame un air mélancolique avant d’être rejoint par Lila KEDROVA qu’il accompagne au chant. Ce n’est toutefois pas un rôle muet. Au cours de la pièce, Georges se retrouve un moment seul face à l’actrice Dora DOLL avec laquelle il échange plusieurs répliques.

Jésus la Caille, deuxième tableau. Jo Krasker & Lila Kedrova
    De nouveau au complet, la troupe de comédiens est donc prête à prendre l’autocar et parcourir la France tout au long de l’été 1952, accompagnée par Francis CARCO, son épouse et son chien. L’auteur tient en effet à présenter lui-même sa pièce chaque soir au public. La première représentation a lieu à Trouville (14) et la seconde à Cauterets (65). Georges se souvient d’une anecdote amusante à ce sujet : Alors que la troupe est encore à Trouville, Francis CARCO téléphone spécialement à l’hôtel de Cauterets pour qu’on lui réserve un bain… pour son chien.

Paris, septembre 1952. La troupe des comédiens de Jésus la Caille, avec (de gauche à droite) : Léon LARIVE, Lila KEDROVA, Jo KRASKER, Charles MOULIN, Francis CARCO. (Photo X, D.R.)
    La tournée passe ensuite par Royat (63), Néris-les-bains (03), Evian-les-bains (74), etc. À partir de ce moment-là, Georges prend son nom d’artiste et devient Jo KRASKER. À la fin de la saison d’été, la pièce Jésus la Caille est reprise à Paris (au théâtre Antoine) et Jo voit son engagement renouvelé pour plusieurs représentations. Le 29 septembre 1952, la "Une" des trois premières éditions de France Soir (qui peut, à cette époque, en compter 4 ou 5 par jour) consacre deux articles à Francis CARCO. Le second, intitulé : "Francis Carco a chaloupé au bal des apaches" rappelle que l’"on joue actuellement avec succès Jésus la Caille" à Paris. (Le cliché illustrant l’article présente l’accordéoniste et une partie des comédiens en train de plaisanter avec le facétieux académicien Goncourt).

Francis CARCO à l’honneur en première page de France-Soir, 29 septembre 1952 (photo de gauche) 
Affiche de Jésus la Caille pour la tournée d’hiver 1952 au Maroc (photo de droite)

    Puis, la troupe repart pour la tournée d’hiver 1952 qui passe maintenant par l’Afrique du Nord, notamment le Maroc, avec Casablanca (du 29 décembre 1952 au 1er janvier 1953 inclus au Grand Théâtre), et Marrakech (voir affiches). Pour l’occasion, l’accordéoniste réussit facilement à négocier une augmentation de son cachet.


    Une carrière d’accordéoniste

    À partir de ce moment-là, la carrière musicale de Jo KRASKER prend véritablement son envol. Au
Jo Krasker (1956)
cours des années 50 et au début des années 60, il donne une très grande quantité de galas dans toute la France (casinos, brasseries, festivals, salles de bal, etc.) ainsi qu’à l’étranger. Bien qu’il soit aujourd’hui très difficile, voire impossible, de retracer son parcours professionnel avec une totale précision, tant ses prestations ont été nombreuses et variées, on peut toutefois dater avec certitude les apparitions suivantes :
   
1953 : Casino de Vittel (88) pendant les deux mois d’été (juillet-août).
1954 : Saison d’été : un mois au Casino de Coutainville (14), et un mois à celui de Saint-Pair-sur-Mer (50).
1955 : Saison d’été complète dans un night-club de Dinard (35).
1956 et 1957 : Saison d’été au Casino de Mers-les-Bains (80).
Février 1958 : Il est engagé pour animer avec un orchestre antillais le bal de nuit gouvernemental à Conakry (République de Guinée). La même année, il assure la saison d’été au casino des Sables-d’Olonne (85) avec le grand trompettiste et chef d’orchestre Al MONE.
Jo Krasker (1959)
1959 : Saison d’été au casino de Saint-Brévin-l’Océan (44). Pour l’occasion, le célèbre fabricant d’accordéons, la maison Maugein Frères lui fait livrer au casino un instrument bleu clair, avec des touches noires bordées or, et un soufflet blanc.
1960 : Il décroche deux contrats (un mois en juillet et deux mois en août-septembre) au café-concert de la porte Saint-Martin La Croix de Malte, qui est LE temple de l’accordéon de la capitale. (Voir illustration). Tous les accordéonistes de renom ont fait au moins une apparition à cet endroit prestigieux considéré comme le tremplin vers la consécration.

1961 : Saison complète d’été dans un village de vacances du Lavandou (83).
1963 : Saison complète d’été au casino de Vittel (88).
1964 : Saison complète d’été au casino de Saint-Pair-sur-Mer (50).

    Dans les années 40, 50 et 60 (voire encore au-delà), le rendez-vous des musiciens professionnels qui se recrutent les uns les autres pour monter des formations à durée de vie très variable (allant de plusieurs mois à une seule journée) a lieu tous les soirs place Pigalle, à partir de 18H. Pour les musiciens amateurs, cela se passe le vendredi à la porte Saint-Martin, devant le théâtre de la Renaissance, juste en face de la mythique brasserie La Croix de Malte. Dès 1952, Jo KRASKER y fait la connaissance de l’accordéoniste AIMABLE qui s’y produit, ainsi que de ses futurs collègues de travail (Yvette HORNER, Marcel AZZOLA, Gus VISEUR, André ASTIER, Jo PRIVAT, Joss BASELLI, Raymond SIOZADE, Bruno LORENZONI, André BROCOLETTI, Maurice LARCANGE), pour ne citer que ceux-là. Par chance, il réussit assez rapidement à se trouver une chambre dans le même quartier, au 13 de la rue Bouchardon (Paris 10ème), qu’il va occuper de fin 1952 à 1960.


    Entre 1953 et 1960, Jo KRASKER remplace régulièrement Jo PRIVAT au célèbre Balajo (9, rue de Lappe) à Paris 11ème. Il se produit aussi souvent à la salle Wagram (Paris 8ème) avec son ami et collègue Edouard DULEU (voir affiches). A cette époque, il fait également quelques apparitions au café-concert Le Floréal (31, boulevard Bonne nouvelle) pour lequel il compose une marche du même nom. Un jour de 1954 (ou peut-être de 1955 ?), alors qu’il anime la soirée avec son orchestre, il a le plaisir et l’honneur d’accompagner Joséphine BAKER, qui débarque au Floréal par surprise pour chanter deux ou trois chansons à ses amis, dont la célèbre J’ai Deux Amours. D’autres chanteuses bénéficieront également de ses services entre 1957 et 1959, comme Line RENAUD  (qui se produit sur un bateau mouche), Colette  RENARD, Suzie SOLIDOR et Georgette PLANA.

Jo Krasker vedette de La Croix de Malte, été 1960
    Entre 1960 et 1966, accompagné entre autres du bassiste/flûtiste Maurice MONTAGU, Jo KRASKER assure les tangos, paso dobles et autres valses au sein de l’orchestre musette "Pepito Gomez" qui passe en alternance avec une formation spécialisée dans le jazz New Orleans, Pierre DIEUZEY et ses Capétiens. Ensemble, les deux groupes de musiciens parcourent toute la moitié Nord de la France (Bretagne, Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Alsace-Lorraine, etc.), ainsi que la région Centre.


    Les orchestres antillais

    Au cours de l’année 1953, Jo KRASKER devient également l’accordéoniste attitré du clarinettiste, violoniste et chef d’orchestre martiniquais Ernest LÉARDÉE (1896-1988), animateur dès 1930 du premier Bal Nègre de Paris (33, rue Blomet), et resté notamment dans la mémoire collective pour avoir tourné
Jo Krasker (1961)
dans la première publicité du riz "Uncle Ben’s" en 1976. La formation compte également comme batteur le père du futur pianiste concertiste de renom, Georges RABOL (1938-2006)(2). Ensemble, ils vont faire de nombreux galas (dont une mémorable apparition au Palais de Glace à Lyon en plein hiver) à travers toute la France et ce, jusqu’au début des années 60. Et c’est à Jo, réputé pour sa conduite sûre et précise (il sera Palme d’or de la Prévention routière en 1975), qu’Ernest LÉARDÉE confie de façon permanente sa vieille (mais précieuse) automobile Hotchkiss pour véhiculer ses musiciens lors de leurs déplacements. Entre 1960 et 1966, Jo KRASKER se produit également de manière récurrente au sein d’autres orchestres antillais dans lesquels il joue non seulement de l’accordéon, mais aussi de la contrebasse (affectueusement appelée "grand-mère"). Il se retrouve ainsi engagé dans la formation de Pierre LOUIS (qui parcourt toute la province, du Touquet à Marmande), du guitariste et chef d’orchestre Jo TCHAD ou encore du saxophoniste Gob EDMAR. Puis, après avoir assuré les deux galas de réveillons de fin d’année 1966 au sein de l’orchestre de Pierre LOUIS à la Mongie (65), Jo KRASKER s’installe définitivement dans le Sud-Ouest de la France.

(non daté, prob. 1960), orchestre antillais. De g. à d. : 1 & 2 : non identifiés, 3 : le saxophoniste Gob EDMAR, 4 & 5 : le pianiste Georges RABOL et son père. (Photo © Jo Krasker)
Article de La Montagne (début 1961) (photo de gauche) 
Dépliant publicitaire (1962) (photo de droite)

 
    Le Sud-Ouest

    En 1965, au moment où l’accordéon connaît une petite baisse de régime et paraît momentanément passé de mode auprès de la jeunesse, notamment en raison de la déferlante de la musique anglo-saxonne et de ses avatars (eh oui, les incontournables Beatles sont en train de sévir, même en France…), Jo KRASKER passe son C.A.P. de moniteur d’auto-école afin de compléter ses revenus. Fin 1966, Norbert SLAMA, un de ses amis accordéonistes parisiens, lui propose même de quitter la France et de s’installer avec lui aux États-Unis dans l’optique de poursuivre une carrière commune sur le nouveau continent. Mais après un temps d’hésitation, Jo finit par refuser car il ne souhaite pas trop s’éloigner de ses parents. Désormais marié et père de deux enfants, il se laisse en outre persuader qu’il doit mettre sa famille à l’abri du besoin en pratiquant l’enseignement de la conduite automobile à plein temps. Il accepte alors d’ouvrir une auto-école dans le Gers, à Nogaro.

    Mais à peine est-il arrivé dans le Sud-Ouest qu’il est déjà "réquisitionné" le week-end par ses amis musiciens de la région de Tarbes qui ont absolument besoin d’un accordéoniste pour leur formation. C’est ainsi qu’il se retrouve au sein de l’orchestre "Les Playboys" (dirigé par André LONCAN) qui écume pendant quatre ans, de 1967 à fin 1970, une bonne partie des salles de bal de la région (Gers, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques, etc.).

    Cependant, la vie nocturne des orchestres se révélant difficilement compatible avec celle d’un exploitant en auto-école, Jo est provisoirement obligé de mettre un terme à sa carrière de musicien professionnel à 44 ans, fin 1970. Et ce n’est qu’en 1991, à 65 ans, alors qu’il vient juste de faire valoir ses droits à la retraite, qu’il décide de reprendre son fidèle Fratelli Crosio et de remonter sur les planches, activité qu’il poursuit avec succès jusqu’en 2005. Durant cette période, Jo KRASKER se produit de nouveau dans toute la région du Sud-Ouest (Lot-et-Garonne, Gers, Landes, Hautes-Pyrénées, etc.), au sein de plusieurs formations. D’abord celle de Patrick DORVAL, un orchestre de Tarbes avec lequel il reste deux ans(3), puis deux autres formations avant de monter son propre orchestre, "Paris Guinguette".

Bouquerie Musette, La Dépêche du Midi, 1995
    En 1995, il reçoit un coup de téléphone de son ami guitariste Richard MULLER qui habite à Condom (32), l’informant que le mythique guitariste René "Didi" DUPRAT (1926-1996)(4) est de passage dans la région pour quelques heures. Jo KRASKER saute alors immédiatement dans sa
Jo Krasker (1996)
voiture et rejoint ses deux compères à la librairie La Table d’Emeraude, dans le quartier de la Bouquerie à Condom. Là, sous les yeux complices et charmés des clients, les trois musiciens se lancent dans un "bœuf" aromatisé de swing durant tout l’après-midi (voir l’article de Christian HUC, La Dépêche du Midi). En 2000, Jo se produit au Festival du cinéma de Tarbes (65) qui accueille, entre autres, les DESCHIENS. Pour l’occasion, les organisateurs reconstituent le décor complet d’un café parisien, dans lequel l’accordéoniste doit jouer des airs typiques de la capitale (Sous le ciel de Paris, Sous les toits de Paris, Chien perdu sans collier, À Paris, Tant qu’il y aura des étoiles, etc.). Les mêmes organisateurs l’engagent ensuite quelques mois plus tard pour l’animation musicale d’une exposition de peinture qui a également lieu à Tarbes.

Jo Krasker et Richard Muller, 1996
     
    Les instruments

    Au cours de sa carrière, Jo KRASKER joue sur différents types d’accordéons chromatiques. Son premier vrai instrument professionnel (celui offert par sa tante Marguerite) est un Martin Cayla (que l’on peut voir sur la photo de la troupe Jésus la Caille). Puis il acquiert d’autres accordéons, un de chez Maugein Frères, et plusieurs modèles de chez Fratelli Crosio et Cavagnolo, sa préférence allant pour ces deux dernières marques italiennes. Ses disques sont d’ailleurs enregistrés avec un Fratelli Crosio sur lequel il continue de jouer actuellement.

    Musicien complet, Jo KRASKER joue également de la contrebasse et de la batterie, mais c’est avec son bandonéon (un "Arnold", le stradivarius des bandonéons) qu’il excelle en dehors de l’accordéon, en restituant pour le bonheur de tous de célèbres tangos tels que : Concerto de Paris, La Comparsita, Carnaval, S.V.P., etc.


    Le théâtre
      
    Outre la pièce Jésus la Caille qui lui permet de véritablement prendre son envol professionnel en 1952, Jo KRASKER et son accordéon sont également engagés pour jouer dans les deux œuvres suivantes :
Un de la Canebière (opérette marseillaise en 2 actes et 10 tableaux, musique de Vincent SCOTTO). (Paris, Bobino, 1 représentation, 1952).
Scabreuse Aventure, de Fédor DOSTOÏEVSKI, théâtre du Vieux-Colombier, tout novembre 1957.


    Le cinéma

    En tant qu’artistes, tous les musiciens professionnels régulièrement inscrits à l’agence du spectacle sont prioritairement contactés lorsque les productions cinématographiques cherchent des acteurs de complément. Ainsi, au cours de sa carrière, Jo KRASKER se voit proposer plusieurs contrats de figuration muette ou parlante dans des films français et étrangers, notamment :

L’Ennemi Public N°1 (1953), d’Henri Verneuil (dialogues Michel Audiard), avec Fernandel. [Un policier américain].
Lucrèce Borgia (1953), de Christian Jaque, avec Martine Carol. [Un gentilhomme de la cour].
Marchands de filles (1957), de Maurice Cloche, avec Georges Marchal. [Le stewart en veste blanche].
L’Odyssée de Charles Lindbergh (The Spirit of St. Louis) (1957), film américain réalisé par Billy Wilder, tourné sur l’aérodrome de Guyancourt. [Dans la foule qui accueille Lindbergh].
Bal de nuit (1959), de Maurice Cloche, avec Pascale Audret, Sophie Daumier, Bernadette Lafont. [Un des clients de la salle de bal].


    Émissions de radio

— RTF - FRANCE II régional, le dimanche matin (1957-1958) : Mon bel accordéon et La minute de l’accordéon (toutes deux animées par l’accordéoniste Maurice DENOUX).
— Paris Club.
—  Années 1990-2000 : Émissions diverses sur Radio France Landes (Mont-de-Marsan).


    Télévision (1958 - 1963)

    Plusieurs apparitions au cours de la période. On retiendra notamment :

La roue tourne (animée par Guy LUX), le 14 juillet (1961?), l’orchestre joue sur un podium à l’extérieur, sous les lampions. (Pour l’occasion, la maison Fratelli Crosio prête spécialement à Jo un accordéon entièrement neuf).
— Série télévisée Commandant X : saison 1, épisode 4 : "Le dossier boîte aux lettres", 8 octobre 1963 (Incorrectement crédité : Jo Krasner) [l’accordéoniste du train].


    Discographie
   
    En 1953, Jo  KRASKER  passe l’examen  de compositeur et devient membre de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Il compose, entre autres, Le P’tit Gambilleur, Tradition Musette (valse), Floréal, et Tempête Mazurka. Ses principales influences musicales sont André ASTIER, Gus VISEUR, Marcel AZZOLA, Jo PRIVAT, Joss BASELLI et Tony MURENA. En 1958, il signe un contrat avec la maison de disques Olympic qui publie quatre faces sur deux 45T :

1) 45T (SP 2 titres) — Olympic OLM 1186 : Jo Krasker et son ensemble musette
Pas de grisbi pour Ricardo/ Je chante dans la nuit
2) 45T (SP 2 titres) — Olympic OLM 1187 : Jo Krasker et son ensemble musette
C’est tellement différent nous/Rivabella

Puis, en 1959, il quitte Olympic et enregistre en duo avec l’accordéoniste Raymond Siozade une version Cha-cha-cha de la Lettre à Élise de Beethoven (Désir, Désir) pour le label belge Kraftone:

45T (SP 2 titres) — Kraftone K62: Marchand de bonheur/ Lettre à Élise


La même année, il signe un contrat d’exclusivité avec le compositeur Loulou GASTÉ, mari de Line RENAUD et directeur de la société Plastimusic (14, rue Washington, Paris 8ème), éditrice des disques Plastisonor (disques souples translucides et unifaces). Plastisonor publiera six faces réparties sur trois 45T (avant d’abandonner le concept du disque souple, trop fragile) :

1) MIC 71  Mes Vacances/Tais-toi Marseille (Jo Krasker et son orchestre)
2) MIC 72 Ça c’est de la musique/Scoubidou (des pommes et des poires) (Jo Krasker et son orchestre)
3) MIC 73  El Gato Montes/ España Cani (Jo Krasker et son orchestre)


À noter la sortie prochaine - 12 juin 2017 - du CD Jo Krasker & Raymond Siozade - Les archives de l'accordéon chez Marianne Mélodie.


Les Beatles et l'accordéon : En 1967, Lennon et McCartney ont composé un petit air pour cet instrument, Shirley's Wild Accordion, destiné à être incorporé dans leur film Magical Mystery Tour. Enregistré le 12 octobre 1967 par la charmante accordéoniste Shirley Evans (avec Reg Wale, Paul McCartney et Ringo Starr), le morceau fut finalement écarté de la production d'époque, avant de faire surface dans les bonus du DVD Magical Mystery Tour en 2012. Shirley Evans peut toutefois être vue dans le film en train de mener, avec son accordéon, un joyeux Medley pour les passagers du bus en goguette.

© 2017 Eric Krasker. Reproduction interdite sans accord préalable de l’auteur.
Remerciements :  À mon père Jo Krasker, grâce à qui j’ai baigné dans une ambiance musicale de qualité toute ma vie, et à Laurence et Lionel Krasker pour leur collaboration.

Lionel, Eric & Jo Krasker, Passage d’Agen (47), 23 mai 2014

    Notes

(1) La pièce Jésus la Caille a été présentée le 11 janvier 1952 en première mondiale au théâtre des Célestins à Lyon (trois représentations du 11 au 13 janvier 1952). Elle s’est ensuite installée à Paris, au théâtre Gramont (première le 4 mars 1952), avant d’être reprise au théâtre Antoine (14, boulevard de Strasbourg) à partir du 25 juin 1952. Après la tournée d’été, elle est de nouveau jouée au théâtre Gramont, à partir de fin septembre 1952.

(2) À ce sujet, Jo KRASKER se souvient que le jeune Georges RABOL l’a occasionnellement accompagné au piano lorsqu’il se produisait avec d’autres orchestres antillais, notamment avec celui de Gob EDMAR.


(3) Et se produit notamment à l’Eldorado Club d’Agen (47).


(4) Homme discret mais guitariste (gaucher) de légende, René "Didi" DUPRAT a non seulement accompagné les plus grands accordéonistes, notamment Gus VISEUR, Tony MURENA, Marcel AZZOLA, mais également Django REINHARDT, Yves MONTAND, Juliette GRÉCO, DALIDA et Marlène DIETRICH.

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